Délit de solidarité : application immédiate des dispositions pénales plus douces
Dans un arrêt du 12 décembre 2018, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a fait application immédiate des dispositions plus favorables de l’article L. 622-4, 3°, du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018, à des faits d’aide à la circulation et au séjour irréguliers d’étrangers, commis antérieurement à son entrée en vigueur.
Les faits étaient les suivants:
Un agriculteur avait, en 2016, depuis l’Italie, organisé l’entrée, de quelques deux cents personnes d’origine majoritairement soudanaise et érythréenne, sur le territoire de la République.
Souhaitant établir un lieu d’accueil humanitaire destiné aux migrants présents dans la vallée de la Roya et venir au secours des personnes les plus fragiles, il avait également pris la décision d’installer ces personnes, faute de place suffisante à son domicile, dans un bâtiment dépendant d’un complexe immobilier appartenant à la SNCF, situé à Saint-Dalmas-de-Tende, qui, après avoir été exploité jusqu’en 1991 comme colonie de vacances, était inoccupé depuis lors. C’est après qu’une plainte a été déposée par le responsable habilité de la SNCF, pour intrusion sans autorisation dans des locaux fermés et sécurisés – les migrants ayant pénétré dans les lieux par une fenêtre du rez-de-chaussée – et que les agents de la police aux frontières ont constaté la présence de ces migrants sur le site, que l’agriculteur, reconnu à l’origine de l’occupation a été poursuivi des chefs de délit d’aide à l’entrée d’étrangers dépourvus de titre de séjour, prévu à l’article L. 622-1 du même code, et installation en réunion sur le terrain d’autrui sans autorisation.
En première instance, le prévenu a été déclaré coupable de la première infraction mais renvoyé des fins de la poursuite de la seconde.
Sur appel interjeté par le ministère public et la SNCF, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a, par arrêt du 11 septembre 2017, confirmé la décision des premiers juges s’agissant des délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers au motif que « la matérialité des faits n’[étai]t pas contestée, que le prévenu savait que les migrants pris en charge étaient démunis de titre de séjour ».
Elle a également considéré que, « même si son action était dépourvue de contrepartie directe ou indirecte, il ne pouvait revendiquer le bénéfice des immunités prévues par le 3° de l’article L. 622-4 du CESEDA, dans sa rédaction alors en vigueur, dès lors que son action s’inscrivait dans une démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration », étant précisé que lorsque l’aide s’inscrit dans une contestation globale de la loi, elle n’entre pas dans les exemptions prévues mais sert une cause militante qui ne répond pas à une situation de détresse du migrant, de sorte que cette contestation constituait une contrepartie à l’aide apportée.
Les juges aixois ont dès lors condamné le prévenu à quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour leur avoir porté assistance. Ces mêmes juges ont, par ailleurs, infirmé le jugement, déclarant également l’agriculteur coupable du chef d’installation sur le terrain d’autrui sans autorisation et aux intérêts civils.
A la suite du refus par la Cour d’appel d’étendre l’exemption prévue à l’article L. 622-4, 3°, aux faits ayant pour objet de faciliter ou tenter de faciliter l’entrée, la circulation et le séjour sur le territoire de la République – refus qui, au regard du principe de légalité criminelle, et de son corollaire, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, ne pouvait juridiquement être contesté –, le prévenu avait formé, en même temps que son pourvoi, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Cette question soutenait précisément que cette absence d’exemption pénale en faveur de personnes poursuivies du chef du délit prévu à l’article L. 622-1 du code pénal, pour tout acte purement humanitaire n’ayant donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte, était contraire au principe de nécessité des délits et des peines, au principe de légalité des délits et des peines, au principe d’égalité devant la justice garantis respectivement par les articles 8 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, outre le principe constitutionnel de fraternité. Et elle avait été transmise aux Sages, par la chambre criminelle de la Cour de cassation, motif pris de son caractère nouveau, le principe de fraternité n’ayant jamais été déclaré principe à valeur constitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel, dans cette décision, a d’abord reconnu valeur constitutionnelle au principe de fraternité (§ 7), duquel découle « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national » (§ 8).
Pour autant, il précise la nécessité de concilier, pour le législateur, ce nouveau principe constitutionnel avec la sauvegarde de l’ordre public, laquelle se compose de l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière (§ 9-10). Aussi, et parce qu’« aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assurent aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national » (§ 9), l’aide à l’entrée sur ce dernier restait prohibée. Le Conseil constitutionnel avait, en revanche, considéré qu’« en réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public (§ 13). Et d’en déduire que la limitation des exemptions prévues à l’article L. 622-4 aux seules aides au « séjour irrégulier » des étrangers était contraire à la Constitution.
Estimant néanmoins que « l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet d’étendre les exemptions pénales prévues par l’article L. 622-4 aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter l’entrée irrégulière sur le territoire français » (§ 23), le Conseil constitutionnel avait fait le choix d’en reporter les effets au 1er décembre 2018, laissant ainsi au législateur le temps d’intervenir. Il avait, à tout le moins, précisé que, dans le but « de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y avait lieu de juger que l’exemption pénale prévue au 3° de l’article L. 622-4 du CESEDA devait s’appliquer également aux actes tendant à faciliter ou à tenter de faciliter, hormis l’entrée sur le territoire, la circulation constituant l’accessoire du séjour d’un étranger en situation irrégulière en France lorsque ces actes sont réalisés dans un but humanitaire ».
Se prononçant sur le pourvoi, la chambre criminelle annule la décision rendue par la Cour d’appel, en ses dispositions portant sur cette déclaration de culpabilité du chef des infractions au CESEDA et la peine prononcée en conséquence, au motif pris des nouvelles dispositions de la loi du 10 septembre 2018 et de la décision du Conseil Constitutionnel du 6 juillet 2018.
La Cour de cassation justifie l’annulation de l’arrêt au motif que, dès son interpellation, le prévenu avait invoqué le caractère d'humanité de son action. Or, la nouvelle rédaction de l'article visé permet désormais au prévenu de bénéficier de l’exemption pour des faits d’aide à la circulation et au séjour irrégulier, réalisés dans un but humanitaire.